mardi 24 septembre 2013

A comme... Afro-américains dans la guerre du Viêtnam

L'armée américaine, jusqu'en 1948, reste une armée marquée par la ségrégation. Blancs et Noirs combattent dans des unités séparées, les Noirs étant relégués, surtout, dans des fonctions non combattantes. Héritage de la guerre de Sécession et de la période de la Reconstruction. Le décret du président Truman est appliqué par la Navy et l'Air Force en 1950, mais pour l'US Army, il faut attendre la fin de la guerre de Corée pour que la ségrégation soit complètement abolie. La guerre du Viêtnam est donc le premier conflit où l'armée américaine entre sans la ségrégation raciale, et les Noirs sont encouragés à faire partie de l'institution militaire.

En 1962, le président Kennedy ressuscite un dispositif visant à trouver des solutions pour que les Noirs qualifiés entrent dans l'armée en plus grand nombre. En 1964, les Noirs représentent 13% de la population américaine mais moins de 9% des hommes de ses forces armées. L'intégration est mauvaise, les promotions improbables, les possibilités dans la Garde Nationale étroites, et les Noirs sont toujours victimes de discrimination sur les bases militaires et aux alentours.

La participation plus importante des Noirs au sein de l'armée américaine va entraîner, à l'heure de la lutte pour les droits civiques, des accusations d'incorporation raciste, au motif que les Noirs seraient utilisés au Viêtnam comme "chair à canon". Martin Luther King affirme ainsi que les Noirs représentent une bonne proportion des premiers appelés et qu'ils ont eu plus de chance de se faire tuer au combat. En réalité, la conscription touche aussi bien les Blancs pauvres, ouvriers et mal éduqués, chômeurs, que les Noirs de même condition, les classes moyennes et supérieures étant largement exemptées par des passe-droits.

Le projet 100 000, incorporé dans celui de "Grande Société" de Johnson, en 1966, cherche à rééquilibrer les chances au niveau du service militaire pour les jeunes issus des zones urbaines défavorisées. Mais c'est un échec : sur 350 000 conscrits de ce type incorporés jusqu'à la fin de la guerre, 41% sont des Afro-Américains et 40% sont affectés à des missions de combat. Les pertes sont deux fois plus élevées dans cette catégorie, qui reçoit finalement peu de formation militaire ou d'opportunités pour se réintégrer dans la vie civile. Les Noirs sont davantage représentés dans les troupes de première ligne, avec beaucoup de volontaires. Entre 1961 et 1966, s'ils ne représentent que 13% de la population et moins de 10% des effectifs de l'armée, ils constituent 20% des pertes au combat sur cette période. En 1965, les Afro-Américains forment le quart des morts au combat de l'US Army. En 1968, alors qu'ils constituent 12% de l'effectif de l'US Army et des Marines, la moitié est en première ligne dans les unités de combat. Un effort est consenti après 1966 pour réduire cette proportion : à la fin de la guerre, les Noirs sont à 12% des pertes, à peu près l'équivalent de leur pourcentage dans l'armée. Ils n'ont probablement pas servi de "chair à canon", mais il n'en demeure pas moins qu'ils ont été fréquemment exposés en première ligne et qu'ils ont supporté une bonne partie du gros des combats.

Par ailleurs l'armée américaine doit aussi compter avec les répercussions de la lutte pour les droits civiques. Les émeutes de Harlem en 1964, celles de Watts à Los Angeles en 1965, celle de Détroit en 1967 sont durement ressenties par les Afro-américains. L'assassinat de Martin Luther King en avril 1968 met le feu aux poudres et déclenche des affrontements raciaux au sein de l'armée. Après cette courte période, les incidents se déplacent plutôt dans les zones arrière ou aux Etats-Unis. A la base de Cam Ranh Bay, des Blancs racistes arborent les déguisements du Klux Klux Klan, brûlent des croix et hissent le drapeau confédéré. Une mutinerie de soldats condamnés parfois pour crimes au dépôt de Long Binh dure trois semaines et entraîne la mort d'un soldat. Aux Etats-Unis, la base des Marines à Camp Lejeune, en Caroline du Nord, et celle de l'Army à Fort Benning, en Géorgie, sont connues pour être des lieux de tension raciale exacerbée.

Les Afro-américains ont cependant décroché 20 Medals of Honor pendant le conflit ; certains sont passés au grade de général. Ils se sont plus fréquemment réengagés que les Blancs. En 1976, ils représentent 15% de l'armée américaine, mais si le nombre d'officiers noirs a doublé, il ne constitue alors que... 4% du total.


Pour en savoir plus :


David COFFEY, "African Americans in the U.S. Military", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.8-9.

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