mardi 24 septembre 2013

La piste Hô Chi Minh

Une course contre la montre. C'est ainsi que John Prados voit l'histoire de la piste Hô Chi Minh, entre les Nord-Viêtnamiens qui la bâtissent pour ravitailler l'insurrection au Sud-Viêtnam, et les Américains qui cherchent à la détruire.

Le 19 mai 1959, le colonel Bo Vam, ingénieur du département de l'agriculture de l'armée nord-viêtnamienne spécialisé dans les questions logistiques, reçoit l'ordre de former le bataillon 301. Celui-ci comprend plusieurs centaines d'hommes armés de vieilles armes françaises de la guerre d'Indochine, qui sont envoyés à Vinh Linh, juste au nord de la zone démilitarisée, pour commencer à explorer les zones de passage possibles au Sud. Utilisant des paysans montagnards des collines à l'ouest de Vinh Binh, Bo Vam réalise un premier test en juin 1959. En août, un premier lot d'armes atteint les zones côtières de la guérilla au nord du Sud-Viêtnam, dans la province de Quang Ngai.

L'activité ne passe pas inaperçue des Sud-Viêtnamiens et des Américains. Le chemin emprunte en effet une portion du Sud-Viêtnam, autour de Khe Sanh, à la rencontre de la zone démilitarisée, du Nord-Viêtnam et du Laos. Un bataillon renforcé de l'ARVN stationne à Khe Sanh et patrouille le secteur. Malgré les précautions des Nord-Viêtnamiens, les Sud-Viêtnamiens comprennent vite qu'un flot commence à se déverser dans leur pays. L'administration Kennedy, à partir de 1961, très axée sur la contre-insurrection, va chercher à bloquer les infiltrations par terre et par mer.

Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/80/Ho_Chi_Minh_Trail_network_map.jpg


Les Nord-Viêtnamiens, qui créent le Groupe 559 (mois et année du premier groupe formé pour ce faire) pour s'installer au Laos et développer la piste, doivent faire face, par mer, à une force de jonques viêtnamiennes armées par les Américains. Au sol, ceux-ci vont commencer à créer les fameux camps de montagnards (Civil Irregular Defense Groups) avec les Special Forces qui sont notamment chargés de surveiller l'activité de la piste et de l'empêcher, si possible. Mais les Nord-Viêtnamiens renforcent le système, développent son réseau, affectent un régiment entier de sapeurs (le 70ème en fait le 301ème bataillon gonflé). Walt Rostow, conseiller à la sécurité nationale de Kennedy, propose dès ce moment-là d'occuper la partie du Laos correspondant au passage de la piste pour la couper. Les Marines déployés au Laos en 1962 lors des accords de paix doivent d'ailleurs collecter des renseignements pour ce faire. Mais l'état-major de l'armée américaine refuse ce plan car il estime qu'il faudrait plus de 100 000 hommes pour bloquer effectivement la piste, et Kennedy ne veut alors pas envoyer de troupes au sol au Sud-Viêtnam. Dès la fin 1961, le 3ème groupe de transport motorisé de l'armée nord-viêtnamienne, avec ses camions, livre de l'approvisonnement jusqu'à Tchepone, au Laos, qui devient bientôt un centre important de la piste.

Hanoï, face au programme des hameaux stratégiques mis en place par le Sud, porte à 4 000 le nombre d'hommes travaillant à la piste en 1964. Cette année-là, plus de 12 000 combattants empruntent la piste. Côté américain, le 5th Special Forces Group mène les premières incursions contre le réseau en juin 1964, en attendant que le Studies and Observation Group (SOG) du MACV, qui prend en charge toutes les opérations non conventionnelles, soit prêt à opérer. Les commandos sud-viêtnamiens parachutés en premier sont décimés. En août 1964, la première unité constituée de l'armée nord-viêtnamienne, le 808ème bataillon, passe par la piste, suivi à l'automne et à l'hiver par les 95ème et 101ème régiments. Les appareils de l'US Navy frappent pour la première fois la passe de Mu Gia, un des points d'entrée de la piste, le 28 février 1965.

A la fin de l'année, ce sont 10 à 12 000 combattants qui en assurent le développement et l'entretien, dont de nombreuses femmes. Le Groupe 665 coordonne le mouvement des unités au Sud et s'occupe des soldats grièvement blessés à rapatrier au Nord. Il y a une demi-douzaine de bataillons de camions, deux bataillons de bicylettes et un bataillon naval. Un groupe de transport développe la piste vers le Cambodge, un autre vers le Sud-Viêtnam. En juin 1966, les Nord-Viêtnamiens débouchent déjà dans la vallée de A Shau et arrivent au Cambodge. Le réseau est de plus en plus complexe avec des stations, des unités antiaériennes, etc.

Avec l'intervention directe des Américains, les frappes contre la piste se renforcent. L'opération Steel Tiger implique des appareils laotiens qui bombardent le réseau. A partir de Khe Sanh, l'Air Force mène les missions Tiger Hound de même nature. Au sol, le SOG se développe considérablement avec le programme CIDG, le projet Delta et les commandos sud-viêtnamiens. Dès la fin 1965, le colonel Blackburn, qui mène le SOG, conduit les premières missions Shining Brass pour détruire les installations de la piste ou les repérer pour des frappes aériennes. A la fin de 1966, le SOG compte déjà plus de 3 500 hommes, insérés par hélicoptère, ce qui reste problématique, ou parfois parachutés à plus longue distance. Singlaub, qui remplace Blackburn, favorise le parachutage, améliore les communications et ajoute l'emploi du gaz non létal pour sécuriser les zones d'insertion. Les Nord-Viêtnamiens ont l'avantage sur ce point car ils dominent le terrain, il leur est facile de repérer les infiltrations et par ailleurs ils cherchent à prendre les bases qui peuvent servir de point d'acheminement de ces équipes spéciales : l'assaut contre le camp des Special Forces dans la vallée d'A Shau, dès février 1966, mais aussi le siège de Khe Sanh. En 1966, ce sont 17 régiments réguliers nord-viêtnamiens qui descendent au Sud via la piste Hô Chi Minh, sans compter les unités spécialisées. Autant dire que l'effort américain est un échec.

Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/cd/HoCMT.png


Les Américains, qui se refusent à envahir le Laos neutre et qui ne peuvent obtenir l'accord de la Thaïlande, vont alors bâtir une ligne fortifiée de postes allant de Khe Sanh à la côte, au Sud-Viêtnam, pour tenter de barrer l'infiltration. En vain, là encore. La ligne McNamara, bâtie en 1967, est mise en échec par l'ampleur de l'offensive du Têt, qui montre qu'elle n'a pu empêcher les passages. Westmoreland a envisagé plusieurs plans pour envahir le Laos et couper la piste, de même, d'ailleurs, que l'état-major sud-viêtnamien. Celui-ci aura l'occasion de le faire avec la malheureuse opération Lam Son 719, en février 1971, où l'incursion au Laos, engageant parmi les meilleures unités de l'ARVN, se termine en fiasco. La piste reste en l'état, se développe, et alimente l'offensive de Pâques 1972. Après le retrait américain, entre 1974 et avril 1975, ce sont plus de 800 000 tonnes d'apprivisionnement qui y transitent pour préparer l'offensive finale contre le Sud.

La piste était-elle véritablement une nécessité pour Hanoï ? A l'époque de la guérilla, probablement pas. Mais la décision d'intervenir au Sud et l'engagement de formations régulières en 1965 la rendent incontournable. Le transport maritime via la côte ou le transit par le Cambodge restent moins importants, car offrant moins de possibilités.


Pour en savoir plus :


John PRADOS, "The Road South. The Ho Chi Minh Trail", in Andrew WIEST (ed.), Rolling Thunder in a Gentle Land. Vietnam War Revisited, Osprey, 2006, p.74-96.

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