Pierre Brocheux, enseignant et historien à la retraite désormais, a livré en 2003 cette biographie d'Hô Chi Minh, qui a même été traduite en 2007 par la Cambridge University Press. Difficile d'écrire une biographie d'Hô Chi Minh, relégué depuis la fin du communisme dans la galerie des tyrans rouges, avec Mao ou Staline. Pourtant le personnage reste encensé et pas seulement au Viêtnam, mais aussi en Thaïlande,
par exemple. Il avait pourtant refusé que son corps soit embaumé, comme
il l'a été. On manque encore d'accès au archives, soviétiques ou
viêtnamiennes notamment, pour répondre à toutes les questions.
Nguyen
Sinh Cung, devenu Nguyen Tat Tanh à l'âge de dix ans, est né en 1890
dans une famille paysanne de la province de Nghe An, alors que s'achève
la colonisation française du Viêtnam. Son père est un paysan qui a
accédé au mandarinat, qui fait de la prison pour avoir défendu des
convictions. Le jeune fils, livré à lui-même par la mort précoce de sa
mère, gagne bientôt Saïgon : après la culture chinoise, il se
frotte à l'européanéité. Il gagne Marseille et Le Havre en servant sur
les navires qui font la liaison avec la métropole. Après un passage à
Londres, il s'installe à Paris en 1917. Anticolonialiste, lié aux
milieux viêtnamiens en France qui rejettent la domination du
colonisateur, il se radicalise progressivement, autour de 1920, après
avoir été déçu de la position de la SFIO sur la question coloniale. Il
rallie le nouveau Parti Communiste au Congrès de Tours, où il est
intervenu, parce que celui-ci a mis à l'ordre du jour la libération des
peuples coloniaux. Il publie, il écrit dans les journaux, il fait de la
propagande, et tient déjà beaucoup à la notion d'égalité. Echappant à la
surveillance de la police, il gagne l'URSS en 1923.
Il reste un an en URSS où il veut rencontrer Lénine, par lequel il s'est initié au communisme (il n'a jamais réussi à finir Le Capital de Marx...).
Mais celui-ci meurt peu de temps après son arrivé. Nguyen Ai Quoc est
considéré sur place comme un spécialiste de la question coloniale. Il
allie étroitement nationalisme et révolution et insiste sur l'importance
des paysans. Il est en fait peu sensible à la rhétorique communiste de
la lutte des classes. En 1924, il gagne Canton et rejoint le Kuomintang de Sun Yat Sen,
dans une Chine en guerre civile depuis 1911. Devenu Ly Thuy, il jette
les bases de la révolution en Indochine en organisant les prémices d'un
parti mais en initiant aussi ses compatriotes à une culture politique à
la fois asiatique et européenne. L'écrasement des communistes par Tchang
Kaï Shek en 1927 est pour lui une leçon. Il faut associer révolution
nationale et sociale, s'appuyer sur les paysans, conserver une certaine
autonomie. Revenu en Europe, puis renvoyé en Asie, il parcourt le Siam
et la Malaisie et imprime déjà sa façon de faire dans ces voyages. Il
doit ensuite fonder le Parti Communiste Indochinois, en 1930, alors même
que les révolutionnaires et nationalistes sont très divisés. La révolte
de Yen Bai et le soulèvement organisé ensuite par les communistes sont violemment réprimés.
Arrêté
en 1931, Nguyen Ai Coc est finalement relâché et gagne Moscou en 1934.
Il constate que l'URSS a bien avancé la reconstruction par rapport à son
premier jour, mais la chape de plomb de Staline s'est aussi abattue sur
la population. Critiqué pour allier un peu trop en avance l'alliance
entre stratégie nationale et sociale, il demeure en URSS, marginalisé,
jusqu'en 1938 et la fin des purges. Il gagne le Guanxi, dans le
sud de la Chine, à la frontière avec le Viêtnam, où il rejoint les
communistes chinois. Après la défaite de la France et les pressions de
plus en plus fortes du Japon sur l'Indochine, Nguyen Ai Quoc juge le
moment propice et regagne le Tonkin en janvier 1941. Installé à Pac Bo,
près de la frontière avec la Chine, il y vit avec ses camarades
communistes dans des conditions spartiates. C'est là qu'il fonde le Viêtminh,
parti qui va mener la lutte de libération armée du Viêtnam. Retournant
en Chine en 1942, il est arrêté et emprisonné par les nationalistes
chinois, mais il va savoir se les concilier pour contrer les Viêtnamiens
soutenus par ces derniers. Quand il revient au Tonkin, le Viêtminh et
ses premiers groupes armés se sont gagnés une bonne partie de la
population du nord-Tonkin, malgré des revers en 1944. Raccompagnant un
pilote américain abattu au-dessus de la zone contrôlée par le Viêtminh, Hô rencontre à Kunming le général Chennault et
obtient de lui une photo dédicacée dont il saura se servir pour montrer
le soutien américain. Le coup de force japonais du 9 mars 1945 établir "l"American Connection",
puisque les Américains ont besoin de renseignements. Une équipe est
parachutée en juillet et sauve peut-être Hô du paludisme avec ses
médicaments. Il est rapidement au courant de la capitulation japonaise
et prend les devants, à Hanoï, pour proclamer l'indépendance, profitant
du vide du pouvoir qui s'est installé.
Hô
joue la carte de l'indépendance et de l'unité nationale. Jusqu'en
décembre 1946, il signe décret sur décret, se rallie la jeunesse et la
bourgeoisie "capacitaire", fait une place aux minorités montagnards sur lesquelles s'est appuyé, au départ le Viêtminh, combat les opposants qui ne veulent pas se rallier par les armes, si besoin. Il accepte l'occupation chinoise réglée à Postdam,
fait des concessions mais montre aussi de la fermeté quand c'est
nécessaire. Les Français, eux, ont repris pied dans le sud en octobre
1945. Leclerc comprend vite que la reconquête du nord ne sera pas
facile. Hô signe un accord avec les Français en mars 1946. Mais les
Français tente de restaurer leur souveraineté et ne veulent pas accorder
l'indépendance. Venu en France pour négocier, Hô constate que les deux
positions sont irréconciliables. Les combats d'Haïphong, en
novembre 1946, jettent progressivement les deux camps vers la guerre. Le
19 décembre, les communistes attaquent les Français à Hanoï. La guerre a
commencé. Le Viêtminh peut compter, à partir de 1949, sur la
Chine devenue communiste. Hô incarne à la fois le chef de guerre et le
chef d'Etat. Avec le tournant chinois, la dimension sociale prend de
plus en plus le pas sur la dimension nationale. Hô rencontre Mao, puis
Staline, qui le presse de mettre en oeuvre la réforme agraire. Il est
patent que le Viêtminh est dès lors fortement influencé par le communisme chinois et la présence des conseillers de ce pays.
Après
Dien Bien Phu, les accords de Genève coupent le Viêtnam en deux, au
niveau du 17ème parallèle. Les Chinois préfèrent probablement une
présence française affaiblie à la présence américaine trop près de leur
territoire, et le Viêtminh est épuisé. La réforme agraire,
finalement lancée en 1956, entraîne de nombreux abus et conduit à faire
plusieurs dizaines de milliers de victimes (les chiffres sont disputés).
Sur le plan culturel, le Nord-Viêtnam, qui s'assimile de plus en plus à
un régime staline, suit l'orientation chinoise. Hô a longtemps cru que
les élections prévues par les accords de Genève permettraient une
réunification en sa faveur. Mais le régime de Diêm s'enracine, refuse les élections, alors qu'une faction des communistes au pouvoir au nord, menée par Le Duan,
prépare activement le renouveau de la guerre au sud. En 1959-1960, avec
la création de la piste Hô Chi Minh et du Front National de Libération,
le Nord s'engage sur la voie de la confrontation avec les Etats-Unis. A
ce moment-là, alors que Le Duan devient premier secrétaire du parti, Hô
n'assume plus, pour Pierre Brocheux, qu'une fonction symbolique et
diplomatique. Il essaie en particulier de jouer les conciliateurs alors
que la Chine et l'URSS se déchirent après 1956. Résultat : le
Nord-Viêtnam est soutenu par les deux puissances pendant le conflit.
Mort en septembre 1969, avant la fin de la guerre du Viêtnam, Hô a
ensuite été l'objet d'un culte de la personnalité qui visait à la fois à
fédérer les Viêtnamiens et à l'isoler.
Hô
Chi Minh, d'abord partisan de l'indépendance, se rallie au
marxisme-léninisme parce que celui-ci semble lui fournir les outils pour
le faire. Mais avec son éducation confucéenne et son contact précoce
avec l'Europe, il est loin d'un dogmatisme affiché. "Pour faire le socialisme, il faut des socialistes", se plaisait-il à répéter. Ce qui ne l'a pas empêcher d'accepter le modèle soviétique socialiste.
Une
biographie solide d'un personnage important du XXème siècle, peut-être
malheureusement un peu trop légère sur la fin, pour la période
post-guerre d'Indochine. Néanmoins la bibliographie fournie peut servir à
creuser et l'on trouvera aussi en début d'ouvrage un tableau synoptique
pour suivre les pérégrinations de Hô Chi Minh.
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